Les Néo-Ruraux Tome 1: Le Berger. Wolfgang Bendick

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Les Néo-Ruraux Tome 1: Le Berger - Wolfgang Bendick Les Néo-Ruraux

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grâce à ses yeux !

      Quand elle n’était pas au travail, elle était devant sa maison qu’elle habitait avec son petit-fils Jean-Paul et qui surplombait le virage comme une tour de guet scrutant la route et les gens qui montaient ou descendaient. De son poste de surveillance, elle avait aussi le village dans sa ligne de mire et faisait des commentaires sur tout le monde. Les plus jeunes, surtout les enfants, dont les parents avaient une maison secondaire au village, la craignaient et l’appelaient « la sorcière ». Personne n’osait lui faire un « tustet », une farce. Les plus anciens l’appelaient mauvaise langue ou langue de vipère.

      *

      Doucement la grange à côté de chez Esther se remplissait de foin. Là étaient habituellement abritées leurs brebis qui se trouvaient en ce moment en montagne. Il leur fallait du foin plus fin. Le foin plus long et plus grossier fut apporté dans deux autres granges longeant la route de Lourein. Ils y enfermaient leurs quelques vaches, dont deux dressées pour être attelées au joug afin de tracter la charrette. Celle-ci servait à passer dans les chemins trop étroits pour leur tracteur russe et sa remorque, un ancien camion découpé. Moyennant une sangle de presque dix mètres, découpée en cercles dans une seule peau de vache, les deux vaches étaient attachées au joug par les cornes, l’une à côté de l’autre. Comme un bateau qu’on attache à une bitte ou un taquet. Il y avait des vaches « droites » et « gauches ». Rarement pour les deux côtés. Au milieu du joug massif, qui épousait la forme des têtes des vaches, était fixé par une grosse goupille en fer le timon de la charrette, qui passait entre les vaches. La charrette était un cadre solide fait en bois de frêne peint en bleu pastel, muni des deux côtés de ridelles en bois, à côté desquelles tournaient les roues à rayons de la taille d’un homme.

       Elie marchait le plus souvent devant ses bêtes, les guidant avec des mots ou en les touchant légèrement avec un bâton, lourdement, à l’allure des vaches, suivi par son attelage. Dans presque chaque village il y avait un paysan travaillant avec un attelage de vaches. Les chevaux étaient trop rapides pour le terrain et plutôt adaptés aux terrains plats. Les bœufs étaient utilisés seulement par de gros paysans ayant beaucoup de surface fourragère. Ici en montagne, où chacun ne possédait que peu de terre, on avait besoin d’une « vache multifonction » qui, pendant son temps libre, produisait du lait et engraissait un petit veau destiné au boucher. Afin d’empêcher les vaches d’ingurgiter le foin trop frais et d’avoir des problèmes de digestion, Jean-Paul leur avait mis une muselière fabriquée par lui-même à l’aide de grillage à poules. Pour les défendre contre les taons il leur avait passé un peu d’huile de cade aux endroits fragiles à l’aide d’une plume d’oie. Je me sentais comme sur un navire où de tout cordage émane la même odeur. Cette huile de cade semblait être le remède miracle pour les paysans, car on en retrouvait l’odeur dans chaque étable et on en trouvait toujours une boîte avec un pinceau quelque part sur une poutre. Je regrettais qu’on ne puisse pas l’utiliser sur nous !

      Le premier jour, nous étions descendus aider en short et chemise à manches courtes. Ça avait engendré une hilarité générale. Bientôt on allait savoir pourquoi. Tout le monde fit de grands yeux en voyant les jambes de Doris qui était en short. Apparemment ici ce n’était pas la mode, du moins pas pour les foins. Tout le monde portait des vêtements épais, impénétrables pour les trompes des « taouas » (taons). Plus le soleil montait, plus ces sales bêtes éclosaient ou se réveillaient, et par manque de donneurs de sang (les animaux étant pour la plupart en estive), ils se précipitaient sur nous. Nous n’arrivions presque plus à travailler, car tout le temps il y avait quelque part un taon à écraser ou à éloigner. Quand on en avait raté un, une bosse se formait rapidement à l’endroit de la piqûre, celle-ci démangeait alors pendant des jours et risquait de s’infecter à cause de la poussière du foin ou d’autres saletés. Il était contre-indiqué de mettre du parfum ou de l’after-shave. Mais ce risque était inexistant pour moi, j’avais ma barbe ! Nous nous aperçûmes que les vieux portaient même des caleçons longs et des tricots de corps à manches longues. Mais surtout pas parce qu’ils avaient froid ! De même ils portaient tous des chaussures hautes ou des bottes à cause des vipères. Nous dérangeâmes pas mal d’entre elles en fauchant ou en retournant le foin le matin, alors qu’elles étaient figées par la fraîcheur. Petit à petit nous nous habituions à leur présence. Et malgré leur grand nombre, personne ne fut mordu ! Mais souvent on se racontait des histoires de gens qui avaient été mordus. Mais la plupart du temps ça remontait à loin.

      Autour de St. Girons, les paysans avaient déjà engrangé leur foin un mois plus tôt, fin mai. Nous avions vu ça en allant en ville. Petit à petit on commençait aussi à l’engranger dans les villages plus en amont. Bizarrement dans les terres basses le climat était différent. Est-ce que les montagnes faisaient pleuvoir les nuages ? L’ensilage, comme il en existait dans les Alpes, était inconnu ici. Tout le monde faisait du foin. Les riches exploitants, qui avaient des terres plates, utilisaient des presses qui hachaient le foin et façonnaient des balles rectangulaires pesant jusqu’à 30 kilos. Les deux ficelles maintenant le foin, étaient en sens longitudinal. Ils avaient besoin de tracteurs costauds et de bras solides ! Ces balles avaient l’avantage de supporter une petite pluie, surtout en les mettant debout les unes contre les autres.

       Les autres paysans employaient des « botteleuses », qui pressaient le foin comme un accordéon. Dans ce cas les ficelles partaient en travers, sur le côté étroit de la balle. Ces balles pesaient 15 à 20 kilos et avaient l’avantage de pouvoir finir de sécher dans la grange, quand le mauvais temps obligeait à les rentrer plus tôt. Dans ce cas-là, nous les posions en couches et les saupoudrions de gros sel. Nous déposions les bottes les plus lourdes (et les plus humides) en périphérie du tas de foin, afin que la chaleur qui se produisait pendant leur fermentation puisse s’échapper et ainsi éviter de provoquer un incendie. Malheureusement ces bottes supportaient mal la pluie et souvent nous devions les ouvrir et sécher de nouveau, quand nous n’avions pas réussi à les rentrer à temps. Pour ce genre de lieuse, un petit tracteur avec peu de force suffisait.

      *

       Là où aucun tracteur ne pouvait plus circuler, les paysans fauchaient leur herbe à la faux ou au moyen de motofaucheuses fortement élargies, souvent équipées de roues jumelées ou en fer, dont les crampons devaient les empêcher de glisser ou de se renverser. Parfois quelqu’un marchait au-dessus, sécurisant la faucheuse par une corde. Ou encore marchait en-dessous, la soutenant avec une fourche à foin. Le fanage du foin se faisait à la main ou avec des accessoires spéciaux qui se fixaient par brides sur le bloc moteur de la motofaucheuse. Au lieu de retourner le foin, on le descendait en ratissant petit à petit pour finir de le sécher afin de le presser dans un endroit plus plat, ou on le rentrait à la grange en paquet, sur la tête. Ce paquet ou fagot, « fayot » en patois, était formé soit avec une grande toile en lin dans laquelle on enfermait le foin en nouant les coins ensemble, soit avec une longue corde, qui passait à travers un bout de bois d’environ 40 cm. On posait la corde en U sur le sol afin que se trouvent d’un côté la pièce en bois, polie par des usages fréquents, et de l’autre côté les deux bouts de la corde. Le foin était alors posé soigneusement en couches sur les cordes parallèles, de manière à ce qu'il dépasse de façon égale de chaque côté, jusqu’à obtenir un bon tas. Puis on faisait passer les deux bouts de la corde par-dessus le tas et autour de la pièce en bois en les serrant le plus possible. Ensuite on nouait les cordes autour du bois, de la même façon qu’on arrimait un bateau à un taquet. Le fagot était alors saisi et soulevé par deux hommes pour permettre au porteur, reconnaissable à un morceau de tissu noué autour de la tête et qui descendait par-dessus les épaules, de se poser dessous et de prendre les cordes avec les mains. Une fois en équilibre, les autres lâchaient leur prise et le porteur s’éloignait en titubant en direction de la grange pour s’y appuyer de dos devant l’entrée surélevée. Là on le débarrassait de son fardeau.

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