Le vicomte de Bragelonne, Tome IV.. Dumas Alexandre
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Читать онлайн книгу Le vicomte de Bragelonne, Tome IV. - Dumas Alexandre страница 38
– Alors, vous voyez bien que je suis un pleutre, un faquin, comme vous disiez.
– Je n'ai jamais dit cela.
– Comme disait Loret, alors.
– Ce n'est pas Loret non plus; c'est Pélisson.
– Eh bien, Pélisson avait cent fois raison. Mais ce qui me fâche surtout, mon cher Molière, c'est que je crois que nous n'aurons pas nos habits d'épicuriens.
– Vous comptiez sur le vôtre pour la fête?
– Oui, pour la fête, et puis pour après la fête. Ma femme de ménage m'a prévenu que le mien était un peu mûr.
– Diable! votre femme de ménage a raison: il est plus que mûr!
– Ah! voyez-vous, reprit La Fontaine, c'est que je l'ai oublié à terre dans mon cabinet, et ma chatte…
– Eh bien, votre chatte?
– Ma chatte a fait ses chats dessus, ce qui l'a un peu fané.
Molière éclata de rire. Pélisson et Loret suivirent son exemple.
En ce moment, l'évêque de Vannes parut, tenant sous son bras un rouleau de plans et de parchemins.
Comme si l'ange de la mort eût glacé toutes les imaginations folles et rieuses, comme si cette figure pâle eût effarouché les grâces auxquelles sacrifiait Xénocrate, le silence s'établit aussitôt dans l'atelier, et chacun reprit son sang-froid et sa plume.
Aramis distribua des billets d'invitation aux assistants, et leur adressa des remerciements de la part de M. Fouquet. Le surintendant, disait-il retenu dans son cabinet par le travail, ne pouvait les venir voir, mais les priait de lui envoyer un peu de leur travail du jour pour lui faire oublier la fatigue de son travail de la nuit.
À ces mots, on vit tous les fronts s'abaisser. La Fontaine lui- même se mit à une table et fit courir sur le vélin une plume rapide; Pélisson remit au net son prologue; Molière donna cinquante vers nouvellement crayonnés que lui avait inspirés sa visite chez Percerin; Loret, son article sur les fêtes merveilleuses qu'il prophétisait, et Aramis chargé de butin comme le roi des abeilles, ce gros bourdon noir aux ornements de pourpre et d'or rentra dans son appartement, silencieux et affairé. Mais, avant de rentrer:
– Songez, dit-il, chers messieurs, que nous partons tous demain au soir.
– En ce cas, il faut que je prévienne chez moi, dit Molière.
– Ah! oui, pauvre Molière! fit Loret en souriant il aime chez lui.
– Il aime, oui, répliqua Molière avec son doux et triste sourire; il aime, ce qui ne veut pas dire on l'aime.
– Moi, dit La Fontaine, on m'aime à Château-Thierry, j'en suis bien sûr.
En ce moment, Aramis rentra après une disparition d'un instant.
– Quelqu'un vient-il avec moi? demanda-t-il. Je passe par Paris, après avoir entretenu M. Fouquet un quart d'heure. J'offre mon carrosse.
– Bon, à moi! dit Molière. J'accepte; je suis pressé.
– Moi, je dînerai ici, dit Loret. M. de Gourville m'a promis des écrevisses.
Il m'a promis des écrevisses…
Cherche la rime, La Fontaine.»
Aramis sortit en riant comme il savait rire. Molière le suivit. Ils étaient au bas de l'escalier lorsque La Fontaine entrebâilla la porte et cria:
Moyennant que tu l'écrivisses, Il t'a promis des écrevisses.
Les éclats de rire des épicuriens redoublèrent et parvinrent jusqu'aux oreilles de Fouquet, au moment où Aramis ouvrait la porte de son cabinet.
Quant à Molière, il s'était chargé de commander les chevaux, tandis qu'Aramis allait échanger avec le surintendant les quelques mots qu'il avait à lui dire.
– Oh! comme ils rient là-haut! dit Fouquet avec un soupir.
– Vous ne riez pas, vous, Monseigneur?
– Je ne ris plus, monsieur d'Herblay.
– La fête approche.
– L'argent s'éloigne.
– Ne vous ai-je pas dit que c'était mon affaire?
– Vous m'avez promis des millions.
– Vous les aurez le lendemain de l'entrée du roi à Vaux.
Fouquet regarda profondément Aramis, et passa sa main glacée sur son front humide. Aramis comprit que le surintendant doutait de lui, ou sentait son impuissance à avoir de l'argent. Comment Fouquet pouvait-il supposer qu'un pauvre évêque, ex-abbé, ex- mousquetaire, en trouverait?
– Pourquoi douter? dit Aramis.:
Fouquet sourit et secoua la tête.
– Homme de peu de foi! ajouta l'évêque.
– Mon cher monsieur d'Herblay, répondit Fouquet, si je tombe…
– Eh bien, si vous tombez…
– Je tomberai du moins de si haut, que je me briserai en tombant.
Puis, secouant la tête comme pour échapper à lui-même:
– D'où venez-vous, dit-il, cher ami?
– De Paris.
– De Paris? Ah!
– Oui, de chez Percerin.
– Et qu'avez-vous été faire vous-même chez Percerin; car je ne suppose pas que vous attachiez une si grande importance aux habits de nos poètes?
– Non; j'ai été commander une surprise.
– Une surprise?
– Oui, que vous ferez au roi.
– Coûtera-t-elle cher?
– Oh! cent pistoles, que vous donnerez à Le Brun.
– Une peinture? Ah! tant mieux! Et que doit représenter cette peinture?
– Je vous conterai cela; puis, du même coup, quoi que vous en disiez, j'ai visité les habits de nos poètes.
– Bah! et ils seront élégants, riches?
– Superbes! Il n'y aura pas beaucoup de grands seigneurs qui en auront de pareils. On verra la différence qu'il y a entre les courtisans de la richesse et ceux de l'amitié.
– Toujours spirituel et généreux, cher prélat!
– À